Cet article s’inscrit dans une série de trois articles qui explorent la façon dont les puissances publiques et organisations privées des pays émergents peuvent tirer parti de l’opportunité des stablecoins, tout en prévenant les risques associés.
Relectures : Matthieu Chassagne, Laurent Hanout, Pierre-Yves Dittlot, Greg Scullard
Cet article s’inscrit dans une série de trois articles qui explorent la façon dont les puissances publiques des pays émergents peuvent tirer parti de l’opportunité des stablecoins, tout en prévenant les risques associés. Plutôt que d’opter pour leur interdiction comme l’a fait la Chine, souvent difficile à appliquer, les pays émergents ont intérêt à adopter d’autres stratégies.
Les stablecoins sont un type particulier de crypto-actifs : leur valeur est fixée pour correspondre à un actif réel, tel qu’une monnaie fiduciaire traditionnelle ou des ressources naturelles.
La majorité des stablecoins actuels sont indexés sur le dollar américain soutenus par une réserve collatérale qui garantit leur liquidité. Cependant, comme nous le verrons, d’autres méthodes peuvent être utilisées pour assurer cette stabilité.
L’avantage principal des stablecoins est leur faible volatilité par rapport d’autres crypto-actifs, ce qui ouvre la voie à de nombreux usages potentiels.
Le premier article offrait un aperçu de l’état de l’art des stablecoins, notamment dans les pays émergents. Ce second article vise à définir ce que pourraient être des stablecoins locaux (ou nationaux) basés sur des monnaies locales ou des actifs réels (RWA) propres aux pays émetteurs. Ce troisième et dernier article examine 10 usages possibles des stablecoins et compare les différences entre les stablecoins indexés sur le dollar avec ceux indexés sur les monnaies ou actifs locaux.
Après avoir exploré les enjeux géostratégiques et économiques des stablecoins pour les pays émergents, ainsi que les principes, contraintes et risques associés à la mise en place d’un stablecoin local, cet article final vise à comparer ces deux approches. L’objectif est d’évaluer si le lancement de stablecoins locaux pourrait réussir à minimiser l’impact du dollar sur l’économie d’un pays, permettant ainsi de conserver sa souveraineté monétaire et économique.
Pour chaque usage possible des stablecoins, nous examinerons s’il est possible d’offrir un avantage suffisant aux utilisateurs pour les inciter à choisir un stablecoin local plutôt qu’un stablecoin adossé au dollar.
En effet, un soutien institutionnel ne suffit pas : l’adoption par les utilisateurs est cruciale.
Le transfert d’argent occupe une place éminente parmi les usages possibles. C’est un service qui apporte des devises dans le pays et constitue donc un point naturel pour l’émission de nouveaux stablecoins, en l’absence d’émission locale.
L’utilisation de stablecoins pour ce service présente un avantage immédiatement compréhensible pour les utilisateurs : la réduction des frais de transfert.
Les frais d’envoi d’argent vers l’Afrique subsaharienne sont souvent élevés avec les monnaies fiduciaires, mais peuvent être considérablement réduits avec les stablecoins. Pour de nombreux pays émergents, les transferts de capitaux par la diaspora représentent une part significative du PIB (jusqu’à 45 %). Réduire les frais de quelques pourcents peut générer des centaines de millions de dollars supplémentaires pour le pays, plutôt que pour des intermédiaires financiers.
Les stablecoins permettent un envoi direct entre émetteur et destinataire, sans intermédiaire autre que la blockchain qui gère ces transactions. Les transactions sont regroupées sur une période donnée, et en fin de période (par exemple mensuellement), un virement de compensation est effectué entre le pays d’origine et le pays de destination. Cela économise sur les frais fixes de chaque envoi individuel et permet également de réduire sensiblement les frais variables grâce à une négociation sur des montants importants envoyés chaque mois.
Pour cet usage, un stablecoin local peut être parfaitement adapté, car il n’y a pas d’avantage particulier pour l’utilisateur à utiliser un stablecoin adossé au dollar. Un stablecoin local offre également un avantage en termes de taux de change en éliminant la conversion depuis la monnaie de départ (par exemple l’euro) vers le dollar pour acheter le stablecoin, puis une conversion vers la monnaie locale du pays destinataire.
Cependant, il est essentiel que des liquidités suffisantes soient disponibles pour le stablecoin local, ce qui nécessite d’ajuster la réserve collatérale aux volumes générés par les utilisateurs.
Développement des Stablecoins pour les Entrepreneurs dans les Pays Émergents
Actuellement, le commerce entre pays voisins est limité par les problèmes de paiement et de change. Il arrive fréquemment que le paiement entre les deux entreprises se fasse via une devise internationale telle que le dollar ou l’euro, ce qui provoque un doublement des frais bancaires de change et peut être soumis à des ralentissements au niveau d’une des banques centrales.
L’utilisation des stablecoins se développe rapidement dans les pays émergents, car elle permet aux entrepreneurs d’acheter des biens et services à l’étranger et de payer leurs fournisseurs de manière plus efficace et à moindre coût.
Selon Chris Maurice, CEO de Yellow Card, une startup nigériane facilitant l’achat et la vente de crypto-actifs dans 20 pays africains, les stablecoins connaissent une forte croissance auprès des entreprises, petites ou grandes. Cela s’explique par leur capacité à compenser le manque de disponibilité du dollar dans de nombreux pays africains, nécessaire pour payer les fournisseurs et importer des biens pour revente ou transformation locale.
Le Rôle du Dollar comme Monnaie Pivot
Le dollar est souvent utilisé comme monnaie pivot car il est encore plus difficile pour un entrepreneur de trouver des liquidités dans la monnaie locale du pays exportateur. Remplacer le dollar par un stablecoin local pour cet usage est donc complexe, car ce dernier pourrait ne pas être accepté par le fournisseur.
Cependant, si le stablecoin local est coté sur des plateformes d’échange présentes dans les pays exportateurs, il pourrait être utilisé pour le paiement. Le fournisseur pourrait alors accepter un paiement dans ce stablecoin et le convertir dans sa propre monnaie via une plateforme qui l’accepte. Cette suppression d’une conversion intermédiaire pourrait réduire les frais de transaction.
Impact douanier et fiscal
La traçabilité irréfutable des transactions constitue un gage de sécurisation de la base imposable aux différents droits et taxes. Ceci peut permettre une amélioration des délais de livraisons, en libérant plus vite les marchandises, sans crainte par rapport au recouvrement des sommes dues, qui peuvent être prélevées à la source.
Incitation au commerce avec les pays régionaux
On peut aussi considérer que des stablecoins nationaux, acceptés entre pays voisins, faciliteront l’émergence de tiers de confiance pour les achats à distance de particuliers et de petits professionnels : le client paye sa commande au tiers de confiance, ce qui rassure le vendeur pour expédier sa marchandise, le client reçoit sa commande et soit valide la conformité des biens reçus, ce qui débloque le paiement par le tiers de confiance, soit refuse la marchandise qui est retournée à l’expéditeur et le paiement net de frais est remboursé.
Conditions pour référencer un stablecoin local
Pour qu’un échange référence un tel stablecoin, il doit y avoir suffisamment d’acheteurs et de vendeurs. Cela peut être difficile dans des pays principalement exportateurs. Par exemple, qui en Chine serait intéressé par l’achat de stablecoins en dirhams marocains ?
Les émetteurs de stablecoins locaux devront adopter des stratégies marketing pour promouvoir leur nouvel actif sur différentes plateformes d’échange. Ces plateformes seront exigeantes sur plusieurs paramètres clés : le nombre d’utilisateurs du stablecoin, la qualité de l’actif sous-jacent ou collatéral, le volume réel et espéré des transactions, et la capitalisation du stablecoin.
Un objectif difficile
L’utilisation d’un stablecoin local pour concurrencer les stablecoins adossés au dollar dans les paiements transfrontaliers ne peut pas être une ambition initiale. Il est crucial de démontrer d’abord un volume d’utilisation locale suffisant pour rassurer les grandes plateformes d’échange mondiales. Ces plateformes présentent l’avantage d’être accessibles dans de nombreux pays ; par exemple, Binance couvre 196 pays en novembre 2024.
Cela ne signifie pas que cet objectif est inatteignable. Il est possible de commencer par cibler des échanges plus modestes mais potentiellement mieux adaptés à certaines régions. En Afrique de l’Ouest, on peut compter sur des sociétés africaines comme Obiex, YellowCard, Quidax, et bien d’autres, qui sont accessibles dans de nombreux pays africains et se développent rapidement.
Avantages des stablecoins locaux pour les Paiements Locaux
Un stablecoin local présente un avantage évident sur un stablecoin adossé au dollar pour les paiements locaux dans le pays émetteur. Il utilise la même unité de compte que la monnaie nationale, ce qui facilite les transactions, car les prix des biens et services sont exprimés dans cette monnaie. En revanche, l’utilisation du dollar nécessite des conversions complexes dans les deux sens, rendant les transactions moins pratiques.
Cependant, en cas de forte inflation dans le pays, il sera difficile d’empêcher les utilisateurs de se tourner vers le stablecoin adossé au dollar pour l’épargne. Ils pourraient alors convertir uniquement ce dont ils ont besoin pour leurs dépenses quotidiennes. Dans ce cas, le stablecoin local pourrait conserver sa place à condition qu’il soit largement accepté dans le pays.
Exemple de la Mobile Money
La mobile money, lancée en 2007, est un exemple de réussite dans certains pays (principalement en Afrique et en Asie du Sud et du Sud-Est) où elle cohabite sans problème avec la monnaie fiduciaire traditionnelle. Dans ces régions, il serait plus facile de déployer des stablecoins locaux en créant des passerelles simples avec les services de mobile money, qui complètent parfaitement les services que peuvent offrir les stablecoins.
Bien que la mobile money ait certaines limites, comme des plafonds de dépenses mensuels relativement bas et une interopérabilité limitée entre réseaux, elle a connu une croissance significative. Les stablecoins, en revanche, sont utilisables à l’échelle mondiale sans ces restrictions même si les réglementations locales pourraient limiter également les montants échangés.
Dans les pays où la mobile money n’est pas présente ou limitée pour des paiements importants, il sera nécessaire de développer un réseau d’acceptation pour que le stablecoin reçu par un membre de la diaspora puisse être utilisé localement avant d’être converti en monnaie légale.
Réglementation et Acceptation
La mise en place d’une réglementation pour l’acceptation des paiements en stablecoin est essentielle. Elle doit garantir la viabilité du stablecoin en certifiant son émetteur et en auditant la qualité des réserves collatérales, tout en luttant contre le blanchiment d’argent et le financement d’activités illégales.
Pour les commerçants, accepter un paiement par stablecoin est relativement simple : une application sur smartphone suffit. Ils peuvent choisir de conserver une partie des paiements reçus en crypto-actif, tandis que l’autre partie est automatiquement convertie en monnaie légale et déposée sur leur compte bancaire. En cas de conservation partielle des paiements en stablecoin, le commerçant devra tenir une comptabilité en crypto-actifs et sera soumis à une fiscalité potentiellement spécifique.
Le paiement de factures est un service qui peut prolonger la durée de vie des stablecoins de manière digitale. Il est relativement simple de proposer un service permettant aux détenteurs de stablecoins de régler des factures, qu’elles soient récurrentes ou non, à condition que les fournisseurs publient une API pour interroger les factures en attente d’un client donné. Cette fonctionnalité permettrait par exemple à un membre de la diaspora de payer des factures d’électricité, de loyer, d’assurance ou de téléphone pour sa famille restée au pays.
Dans ce contexte, le stablecoin adossé au dollar est naturellement exclu, puisque les prix des fournisseurs locaux sont exprimés en monnaie locale.
Les stablecoins jouent un rôle crucial dans le trading de crypto-actifs, servant souvent de monnaie pivot pour les conversions entre différents jetons ou comme collatéral pour garantir un emprunt d’actifs plus volatils.
Un stablecoin local récent aurait peu de chances d’être utilisé à cette fin, car la majorité des plateformes d’échange et des protocoles de trading n’acceptent actuellement que les stablecoins en dollars.
Les citoyens concernés des pays émergents, et il y en a de plus en plus (au Nigéria on estime que c’est plus de 25% de la population adulte qui possède un portefeuille de crypto-actif), vont donc continuer à utiliser des stablecoins basés sur le dollar.
Sur le long terme les efforts déjà mentionnés consistant à faire référencer le stablecoin local sur les grands échanges mondiaux, permettront peut être de changer la donne.
A plus court terme, il est possible de développer des applications et services d’échange, y compris décentralisés, qui accepteraient les principaux crypto-actifs utilisés localement pour les échanger avec des stablecoins locaux.
Stimuler l’innovation technologique locale est donc essentiel pour développer ces services.
Les stablecoin dollars sont déjà largement utilisés dans les pays émergents pour se constituer des réserves insensibles à l’inflation locale, mais également pour bénéficier de meilleurs taux de change, qui sont offerts par les plateformes d’échange.
Un stablecoin local basé sur la monnaie locale qui serait soumise à une inflation sensible n’aurait donc a priori aucune chance d’être adopté pour ces raisons, en tous cas tant que le dollar sera perçu comme plus stable que la monnaie locale.
Mais ne serait-il pas possible, sous certaines conditions, de conférer à un stablecoin local une certaine forme de protection contre l’inflation ? Par exemple, il pourrait être intéressant, pour inciter les marchands et entreprises à accepter des stablecoins locaux amenés par la diaspora, de garantir leur prix par rapport au dollar pendant un certain temps. Ce qui pourrait être financé par les dépôts de stablecoins, s’il est possible de gérer des intérêts sur ces dépôts.
Dans le cas où il n’existe pas de marché parallèle du change, on peut aussi envisager d’offrir aux acquéreurs de stablecoin locals un taux de change effectif le plus intéressant possible, à savoir celui le plus proche du taux officiel, lorsque les stablecoins sont achetés en devise étrangère, en tous cas plus avantageux que de passer par l’intermédiaire dollar. Même s’il peut y avoir un bénéfice immédiat, une inflation trop forte continuerait à effrayer les utilisateurs locaux recevant ces stablecoins, qui seraient tentés de se débarrasser de ce stablecoin en monnaie locale le plus vite possible.
Un stablecoin basé sur les ressources naturelles du pays, pourrait apparaître comme une solution au problème, dans la mesure où la croissance de la valeur de ces ressources compenserait l’inflation. Comme évoqué plus haut, la mise en œuvre d’un tel stablecoin est théoriquement possible mais délicate.
Un autre moyen d’encourager l’utilisation d’un stablecoin local est de proposer une rémunération attractive pour les dépôts, c’est-à-dire la conservation de stablecoins dans le portefeuille des utilisateurs.
Les émetteurs de ces stablecoins pourraient offrir des intérêts, à condition que les réserves collatérales génèrent elles-mêmes des intérêts, ce qui est possible avec des titres de dette souveraine. Des conditions pourraient être imposées pour cette rémunération, telles qu’une durée minimale de détention ou un montant minimum épargné, et elle pourrait être accompagnée d’une réduction fiscale sur les intérêts générés.
Dans un pays à forte inflation, cette rémunération est essentielle pour inciter à l’utilisation et à la conservation d’un stablecoin local. Elle doit être au moins équivalente à celle des stablecoins adossés au dollar.
La microfinance joue un rôle crucial dans le développement de l’entrepreneuriat, du commerce et de l’artisanat dans les pays émergents. Dans certains pays, la dette privée détenue par les citoyens auprès d’institutions de microfinance représente une part importante de la dette privée totale.
La mise en place de services de prêts en stablecoin local est techniquement simple, surtout si le scoring est basé sur les mouvements du portefeuille crypto de l’emprunteur. Par exemple, si un emprunteur reçoit régulièrement des stablecoins locaux de la diaspora, il est facile de déterminer le montant maximum du prêt à accorder. Le paiement des échéances peut être automatisé via un contrat intelligent.
Les stablecoins locaux peuvent être compétitifs par rapport aux stablecoins en dollars si les taux d’intérêt sur les prêts sont attractifs. Les institutions de microfinance pourraient bénéficier de taux de refinancement plus bas que par les canaux traditionnels. En effet, ces instituts sont rarement bien notés par les agences de notation, et se voient obligés de pratiquer des taux très élevés souvent au-dessus de 20% par an pour leurs créanciers.
De plus, les stablecoins locaux pourraient soutenir des prêts communautaires selon des mécanismes locaux comme la tontine, une communauté d’artisans et de petits commerçants prêtant à l’un d’entre eux à tour de rôle.
Les stablecoin locaux ont donc leur carte à jouer face aux stablecoins en dollars, qui ne seront pas forcément compétitifs ni très pratiques à utiliser pour fournir des prêts à des utilisateurs dans les pays émergents.
Pour la vaste partie de la population non bancarisée des pays émergents, obtenir une carte bancaire est difficile. Les développeurs de services basés sur les stablecoins peuvent proposer une carte de crédit internationale débitant le portefeuille de stablecoins lors de son utilisation. A condition d’un contrôle des changes permissif, ce qui est loin d’être le cas dans les pays émergents. Cette carte peut être virtuelle ou physique. La mise en place d’un tel service sur un stablecoin local est possible avec une licence réglementaire d’émetteur de monnaie électronique.
Les stablecoins en dollar n’ont pas ici nécessairement d’avantages sur un stablecoin local pour la fourniture d’une carte bancaire, car ils seront considérés comme un actif comme un autre dans le portefeuille de l’utilisateur.
Un des moyens faciles à mettre en œuvre pour développer l’adoption des stablecoins est de permettre de les utiliser sur des sites de e-commerce des pays émergents, voire même de réserver des avantages tels qu’un taux de TVA minoré pour les commandes réglées en stablecoins.
E-commerce national
Le e-commerce est en forte croissance dans les pays émergents, malgré des problèmes de confiance des utilisateurs, souvent liés à la livraison des biens achetés. Il ne faut pas oublier que Facebook est la première plateforme de e-commerce 100% informel dans de nombreux pays émergents. Les commandes se font en messagerie instantanée, avec des vendeurs qui sont loin d’être tous des professionnels dûment enregistrés.
En Afrique, le paiement en espèces à la livraison représente plus de 90 % des commandes, et non pas en amont, par paiement électronique à la commande. Cela est dû à la faible diffusion des moyens de paiement en ligne, à leur coût souvent trop élevé pour le commerçant par rapport à ses marges brutes faibles et à la traçabilité des ventes en cas de contrôle fiscal. Ceci pose des problèmes de gestion de ces espèces transportées par les opérateurs de livraison, et de qualité de service avec un nombre élevé de colis non distribués.
La mise à disposition d’un portefeuille avec des stablecoins permettant du paiement en ligne aiderait au développement du e-commerce. Les émetteurs de stablecoins locaux ont donc un grand intérêt à établir des partenariats avec les principaux sites de e-commerce locaux pour qu’ils acceptent les stablecoins comme moyen de paiement. L’usage des stablecoins dans le e-commerce reste encore limité y compris dans les pays occidentaux, il n’est donc pas trop tard pour que les pays émergents s’y mettent, à condition que la réglementation locale le permette.
Une telle pratique devrait aussi susciter doublement des retombées fiscales positives : d’abord faciliter la détection des vendeurs du marché parallèle, qui recevront des pénalités financières, et par un meilleur recouvrement de la TVA auprès des e-commerçants professionnels déclarés qui de leur côté pourront travailler dans de meilleures conditions.
E-commerce international
Dans la plupart des pays émergents, les consommateurs n’ont pas accès aux sites marchands étrangers, justement parce qu’ils ne peuvent pas payer en ligne à la commande en devises. De tels achats sont réservés aux happy fews qui détiennent une carte de paiement internationale.
Ces restrictions ne réduisent en rien l’envie des consommateurs locaux. Des business parallèles entiers se sont constitués pour “se débrouiller” pour acheter sur Amazon ou ailleurs, tandis que des importeurs abusent de l’avantage concurrentiel pour vendre des produits importés avec des marges excessives.
L’ouverture des achats en ligne à l’étranger n’est pas sans danger et devrait se faire progressivement. Réservées aux commandes réglées d’avance en stablecoins, cette ouverture serait parfaitement contrôlable parce qu’intégralement tracée. Il pourrait donc y avoir une facilitation dans le traitement douanier des colis entrants dans le pays : refus des produits interdits, acquittement des droits sans petite corruption.
L’Etat pourrait avoir beaucoup à y gagner en recettes, et les citoyens en pouvoir d’achat.
Le tableau ci-dessous compare les atouts des deux types de stablecoins pour chacun des usages.
Les stablecoins locaux possèdent un potentiel significatif et peuvent rivaliser, ou du moins coexister, avec les stablecoins adossés au dollar sous certaines conditions :
Une réglementation Favorable
La mise en place d’une réglementation qui soutient leur développement est cruciale. Bien que peu de pays émergents aient actuellement réglementé l’usage des crypto-actifs, les récentes initiatives en 2024 aux États-Unis, en Europe, et au sein des BRICS montrent un soutien actif aux crypto-actifs, ce qui est prometteur. Par exemple, l’annonce de novembre 2024 par la banque centrale marocaine concernant l’introduction imminente d’une réglementation complète sur les crypto-actifs va dans ce sens, et devrait inciter de nombreux pays africains à faire de même.
Une Politique de Contrôle des Changes assouplie
Une politique de contrôle des changes favorable, s’appuyant sur la transparence offerte par la blockchain, est également nécessaire. La transparence est l’un des apports essentiels de la blockchain pour les États.
Un Fort Soutien à l’Innovation
Encourager l’innovation est essentiel pour permettre aux startups locales de développer des services innovants autour des stablecoins. Cela est particulièrement important car les services financiers doivent être adaptés aux spécificités de chaque pays, ce qui ne peut être mieux réalisé que par des entrepreneurs locaux. L’analyse de cet article montre que le succès des stablecoins locaux dépendra principalement des innovations apportées à l’expérience utilisateur et aux modèles économiques.
Une éducation à l’usage
Si un pays comprend l’opportunité qui se présente, même avec une expérience utilisateur optimale des services, il aura tout intérêt à communiquer de façon positive et éducative à la population. Le monde de la monnaie digitale peut apparaître complexe, surtout pour les parties défavorisées des populations, où le taux d’analphabétisme peut rester élevé. Il faut cependant parier sur les jeunes générations (les moins de 20 ans) qui sont nés après l’avènement des smartphones qui vont rapidement éduquer leurs aînés.